Elle est bien moins pratiquée que la marche à pied et pourtant elle a toutes les qualités. La danse sollicite le corps dans sa globalité, stimule le cerveau, rend joyeux et crée du lien social. Article original : letemps.ch.
On ne le dit pas assez. La danse a toutes les qualités. Elle agit positivement sur le corps, le cerveau, l’humeur et le lien social. Cette activité qui épanouit les enfants, soude les couples et rajeunit les retraités est plus bénéfique à l’homme que n’importe quel sport, assure la neurobiologiste Lucy Vincent dans Faites danser votre cerveau!. Pourquoi? Parce que, comme la natation, la danse stimule les muscles sans agresser le squelette, mais, mieux que la natation, elle conserve un principe de gravité qui permet aux os de ne pas se fragiliser… La danse demande de l’endurance, de la coordination et le sens du collectif comme le football, mais évite les contacts musclés de ce dernier. La danse l’emporte encore sur le jogging pour la joie qu’elle procure et, surtout, le fait qu’on peut la pratiquer chez soi, durant un seul quart d’heure quotidien, et déjà tirer parti de ses bienfaits. A travers des études et des exemples éloquents, la spécialiste démontre pourquoi tout le monde devrait danser sans délai. Rock, rumba, salsa, paso doble, etc.: dans son ouvrage, la scientifique offre en cadeau des modes d’emploi.
D’abord, cette mise au point. Non, il ne faut pas avoir «le sens du rythme» ou le pied léger et la grâce incarnée pour danser. Lucy Vincent l’assure: chacun a sa danse et, si les pas peuvent représenter, au départ, quelques difficultés, la fierté de l’apprentissage est justement une des étapes de gratification. «Quand le petit enfant commence à marcher, il se lance, tombe et s’y remet sans cesse. Apprendre une danse est une chance, celle de se remobiliser autour d’un grand projet.» D’autant, poursuit la spécialiste, que lorsqu’on danse, aucune partie du corps n’est laissée de côté.
Les aînés, nouvelle jeunesse
A commencer par le cerveau, largement stimulé et alimenté. Déjà, le cerveau est sollicité pour comprendre et retenir les pas et/ou la chorégraphie. Ensuite, il est nourri, parce que, en se contractant, les muscles émettent des messages hormonaux, appelés myokines, qui vont droit au cerveau et lui permettent, entre autres, d’organiser les systèmes sensori-moteurs. Et, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, ces réseaux se renouvellent sans cesse. Dès lors, il n’est jamais trop tard pour se lancer sur la piste. Lucy Vincent cite cette étude qui fait rêver. En Allemagne, 22 seniors en bonne santé, de 63 à 80 ans, ont été testés sur dix-huit mois. Onze se sont mis à la danse tandis que l’autre moitié accomplissait des gestes répétitifs sans intérêt. Après six mois, les danseurs se distinguaient déjà en présentant un gonflement significatif de la matière grise dans leur gyrus précentral, la partie du cortex moteur qui dirige les mouvements. Ils manifestaient également une amplification de leurs facteurs de croissance neuronale, ce qui prouve que le lien danse-cerveau passe par la voie hormonale. Enfin, on pouvait observer chez les danseurs une augmentation du volume de la région parahippocampique, ce qui confirme les effets positifs de la danse sur la mémoire.
Apprendre en bougeant
Les termes sont techniques, mais ce qu’il faut retenir, c’est que le cerveau n’est jamais aussi performant que lorsque le corps est en mouvement. Or la danse est le mouvement par excellence puisque le corps entier est impliqué. D’ailleurs, c’est pour le bien-être de leur cerveau que les tout jeunes enfants bougent tout le temps. Citant une étude anglaise, Lucy Vincent montre que les petits mouvements sans but apparent des enfants de moins de 2 ans, qu’on appelle en anglais les fidgets, sont l’assurance d’un bon développement neurologique. Les enfants qui en sont dépourvus présentent des anomalies.
Apprentissage par le corps, encore: si les élèves asiatiques se font souvent remarquer pour leurs prouesses en mathématiques, c’est parce que, estiment de nombreux chercheurs, ces écoliers apprennent toujours à compter sur le boulier (ou abaque). «Le fait de voir et de sentir les unités de calcul […] ancre les opérations abstraites dans les sensations physiques emmagasinées dans le cerveau, rendant plus facile l’usage de concepts mathématiques plus élaborés», détaille Lucy Vincent. Chez nous, note la spécialiste, beaucoup d’écoles proposent aux enfants de jouer physiquement les molécules ou les planètes du Système solaire dans l’espace de la classe pour mieux retenir la leçon et il n’est pas rare que des physiciens demandent à des danseurs d’exprimer la supraconductivité pour donner une image concrète du phénomène. Dans ce cas de figure, c’est le cervelet qui guide les opérations. C’est lui aussi qui permet d’automatiser les mouvements complexes comme la conduite en voiture et le vélo. Ou la danse, une fois qu’on l’a intégrée!
Danser fait manger équilibré
L’intensité du mouvement joue un rôle. L’exercice modéré régulier est préférable à l’exercice intensif, occasionnel ou non, car le premier entraîne la libération d’une plus grande quantité de myokines – les messages hormonaux cités plus haut – que le second. Parmi ces myokines, on trouve des facteurs de croissance, des agents anti-inflammatoires, des régulateurs de gènes et diverses molécules. On observe aussi que les enchaînements en douceur permettent aux organes de dialoguer entre eux, alors que le fameux «no pain, no gain» – ou entraînement forcé – stresse le corps et peut entraîner un déséquilibre du système immunitaire.
En outre, le fait de bouger le corps entier permet une régulation alimentaire. Grâce à un mouvement régulier, l’hypothalamus, que Lucy Vincent compare à un général des armées, envoie des stimuli pour tel ou tel type d’aliments en fonction des besoins identifiés. Plus les groupes musculaires sont nombreux, plus les informations seront riches et les choix alimentaires variés et équilibrés. «Compte tenu de la multitude de ses postures, coordinations et accélérations, la danse est une activité privilégiée de ce point de vue», complète la neurobiologiste. Que se passe-t-il en cas d’immobilité? C’est le brouillard, l’affolement. Le cerveau lit difficilement un corps assis et, dans le doute, met de côté des réserves sous forme de graisse au cas où…
La gravité prévient l’ostéoporose
Enfin, la relation au sol propre à la danse a aussi une bonne influence. Quand les astronautes partent dans l’espace, leurs os, privés de l’effet de gravité, perdent de leur consistance. La danse prévient l’ostéoporose en faisant ressentir au sujet le poids de son corps. «En pratiquant une activité qui nous soumet aux effets de la gravité, nous fabriquons des os plus solides et empêchons ainsi le tassement de nos vertèbres», assure Lucy Vincent. De plus, de meilleurs os offrent un socle plus puissant à nos muscles. «Qui voudrait tirer un immense élastique entre deux fines baguettes?» questionne la spécialiste. «Des muscles attachés à des os faibles s’atrophient forcément par manque de sollicitations.»
Le bonheur au carré
Vous n’êtes pas encore convaincus de l’importance de la danse? Elle a pourtant cet autre atout majeur: améliorer l’humeur. On dit souvent que les pensées s’impriment dans le corps. C’est vrai. Un dos voûté annonce une déprime. Un pas vif témoigne d’un bel entrain. Des gestes à demi ébauchés trahissent les éternels distraits, etc. Mais l’inverse fonctionne également. Les mouvements peuvent modifier l’état psychique. Lucy Vincent cite une étude où, après avoir plusieurs fois levé les bras, des candidats avaient une telle confiance en eux qu’ils osaient tricher ou mentir plus que la cohorte de cobayes restés les bras ballants.
La danse, avec sa complexité de gestes et son ouverture corporelle, est une championne pour ce qui est d’améliorer le moral et réveiller les ardeurs. Danser aide à se sentir mieux, dans tous les sens du terme. Sentir pour de bon les limites de son corps, ses contours, a un effet bénéfique sur la conscience de soi. C’est déjà une joie. A laquelle s’ajoutent les endorphines libérées par l’accélération cardiaque. L’autre grand bonheur lié à la danse concerne évidemment le plaisir de la musique. Son rythme nous rappelle notre rythme cardiaque, sa mélodie aère la tête, libère le sentiment. Enfin, lorsqu’on parvient à reproduire une chorégraphie ou des pas compliqués, on libère de la dopamine, l’hormone de la récompense. Le sentiment de fierté qui en découle est encore une source de félicité.
Plus de compassion
C’est déjà beaucoup? Ce n’est pas fini. La danse est encore un formidable vecteur relationnel. Lorsqu’on danse en couple, le lien est intime, profond, la connexion dépasse le sens pour toucher les sens. Mais la danse collective crée aussi de l’empathie. Grâce à l’effet des neurones miroirs – ces neurones qui nous font inconsciemment adopter les mêmes attitudes que la personne assise en face de nous –, les personnes qui effectuent les mêmes mouvements simultanément développent de la sympathie réciproque. Une étude de Harvard a fait danser des candidats avec des criminels et établi que la vision des premiers changeait radicalement après l’exercice. Les participants trouvaient les repris de justice plus «semblables à eux» et exprimaient plus de compassion et d’altruisme à leur égard, rapporte la neurobiologiste.
Parce qu’elle permet d’abolir les distances hiérarchiques et les attitudes défensives, la danse pourrait être très bénéfique aux relations de bureau. Pour le moment, rares sont les sessions de danse en entreprise, regrette Lucy Vincent, mais des chefs de boîte proposent des booster breaks qui vont dans ce sens. Il s’agit de pauses organisées réunissant quotidiennement cinq participants pendant quinze minutes. L’expérience qui se déroule sur six mois ou une année a permis d’observer moins de stress, plus de joie et un plus grand soin pour la santé parmi les collaborateurs. Le rêve de Lucy Vincent? «Qu’un jour, il devienne normal de se lever pour aller danser avec ses collègues, histoire de booster sa concentration et sa créativité avant une réunion, de dissiper des tensions ou encore de stimuler sa mémoire.» Chiche?
Faites danser votre cerveau!, Lucy Vincent, Odile Jacob, Paris, 2018.
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